Note d’intention du metteur en scène

 

1. Journal intime, conte ou pièce policière ?

Dès première lecture de l’œuvre, on ne peut s’empêcher de penser que ce journal est en fait un conte, un magnifique conte d’une franche cruauté à la première personne du singulier.D’une part, le temps y importe peu. Célestine peut nous raconter sa vie actuelle comme elle peut plonger subitement dans ses souvenirs, se remémorer des expériences par associations d’idées si celles-ci sont suffisamment croustillantes ou nous éclairent sur ses conditions de vie. D’autre part, les personnages et l’histoire nous invitent à la rêverie du conte. Les maîtresses y jouent des rôles de sorcières, les maîtres des ogres ou d’hypothétiques princes. En l’occurrence, si l’on simplifie l’histoire à l’extrême, Célestine, Cendrillon mutine, finit par rencontrer son affreux Prince charmant. Mais Célestine mène aussi une enquête. Une affaire de meurtre avec viol sur mineure la pousse à suspecter son entourage masculin mais, même si ses convictions grandissent au sujet de son futur compagnon Joseph, elle ne mènera pas l’enquête jusqu’au bout. Cette investigation pimente le portrait de Joseph et accentue notre trouble lorsqu’elle décide de faire sa vie avec lui.

2. Un conte … comme au temps des veillées

Je retiens principalement la forme du conte, une histoire racontée aux amis et à la famille, comme on pouvait le faire autrefois au cours des veillées. Mais ce choix entraîne quelques contraintes. Pour tout décor, une chaise. L’interprète pourtant doit suggérer de nombreux lieux puisque la pièce se déroule dans une salle à manger, une cuisine, une église, un cabinet de toilette, un poste de douane, un café, etc. … L’éclairage peut bien entendu aider à créer les différentes atmosphères mais l’actrice ne peut se reposer totalement sur lui. Il faut nécessairement faire ressentir par une interprétation adéquate les ambiances évoquées dans le texte. Au cours de l’histoire, la narratrice se sert d’une multitude d’objets : table, porte, valise, … Le mime paraît ici tout indiqué pour les faire apparaître. En effet, s’il est bien exécuté, il permet à l’actrice de maîtriser le rythme de son récit : pas de coupures lorsqu’elle cherche des objets ou de bavardages pour « meubler ». L’adaptation du texte peut ainsi être affinée pour en venir à l’essentiel. Mais surtout une magie savoureuse, indispensable au conteur s’immisce dès lors dans le récit. Bref, ces contraintes, loin d’appauvrir le spectacle, nous poussent à explorer la source même du théâtre : dire une histoire sans autres outils que sa voix et son corps pour le faire. De plus, cette absence de tout objet souligne le dénuement de la narratrice dans ses moments de doute, sa difficulté à faire face à son destin.

3. Les thèmes

C’est par une exploration des thèmes de la pièce que nous parviendrons à mieux saisir le personnage de Célestine.

Le thème social

Même s’il est omniprésent dans la pièce, le thème social n’en fait pas l’originalité. L’histoire de cette femme mal considérée par ses employeurs qui n’en sera pas moins une maîtresse impitoyable est plutôt galvaudée.

La sexualité

Pour un livre écrit en 1900, il est étonnant de voir à quel point les désirs et la vie fantasmatique de cette femme y sont ouvertement décrits. Lorsqu’elle nous parle de son attirance pour un de ses maîtres, elle nous raconte en détails son stratagème pour avoir une relation avec lui. Par ses prises d’initiatives elle casse l’image d’une femme de chambre- femme objet- que les hommes essaient de conquérir. Elle assume ses désirs, prend sa vie sexuelle en main et n’hésite pas à tenter de réaliser ses fantasmes. Même lorsqu’elle est la cible de perversions, elle a le don de dédramatiser ces aventures en les racontant comme des jeux. Le plus troublant est la légèreté avec laquelle elle accepte l’amour vénal. Loin de s’offusquer, elle accepte de mêler l’utile à l’ « agréable ». En effet, le plaisir de tenir ses maîtres par leurs penchants libidineux la ravit. Ce ne sont pas les contraintes liées à la prostitution qui l’arrêtent mais son sens moral : lorsqu’on lui propose d’aller dépenser l’argent destiné aux pauvres, elle se fâche.

L’antisémitisme

Intéressante aussi la manière dont Célestine nous parle de son antisémitisme. Elle se dit tout d’abord anti-juive comme la plupart des gens de maison ; elle nous confie qu’elle ne voit en fait pas de différence entre une maîtresse juive et catholique. Pourtant elle part avec Joseph, fervent militant raciste, pour fonder un café politique. C’est le seul texte que je connaisse qui parle aussi bien de ce racisme tiède, visqueux, dont on se méfie moins, mais qui dans certaines circonstances nous fait collaborer en faveur de l’ostracisme. Ce texte est suffisamment fin pour nous rappeler nos propres tendances à la haine et nous fait alors envisager le pire lorsqu’on choisit de s’en accommoder.

Stéphane PINCHON