Notes du metteur en scène

Un coup de foudre, un véritable coup de foudre !

Dans tes précédents travaux, tu as fait parler des hommes et des femmes parce qu’il en est ainsi : la plupart des textes de théâtre racontent nos histoires. Mais voilà, tu lis ce texte de Nathalie Sarraute, Ouvrez, et tout change. Avec une simplicité déconcertante et un ludisme extraordinaire, elle fait parler des mots. Oui, vous avez bien compris, ce ne sont pas des êtres humains qui parlent, mais ce sont les mots eux-mêmes qui ont la parole.

Quelle audace pour un écrivain dont c’est le dernier livre !

Leur occupation ? Participer à des conversations.

Mais l’auteur a choisi de s’intéresser aux mots qui justement en sont exclus, ceux que l’on n’ose pas ou plus utiliser car ils provoquent des anicroches. Ces mots sont enfermés derrière une paroi d’où ils perçoivent les discussions et rêvent d’y participer. Comme on le leur interdit, ils ne peuvent que porter des appréciations sur les conversations qui se déroulent sous leurs yeux ou se raconter des histoires de mots. Commence à se dessiner la pièce, un spectacle de science-diction où des mots sont incarnés.

D’ailleurs, comment incarne-t-on un mot ?

Comme un être humain : il a une personnalité, des souvenirs, des envies, une relation aux autres mots. Par exemple, quelle n’est pas la surprise de ces mots quand ils voient Au revoir relégué parmi eux. Lui si utilisé, dont on se passe si difficilement. Que peut-il bien avoir fait ? Il doit participer à un interrogatoire au cours duquel on lui demande une reconstitution de son intervention dans une discussion qui a mal tourné.

Qu’est-ce qui nous pousse à exclure ces mots de nos paroles ?

Sans vouloir donner une liste exhaustive de toutes les raisons, on peut tout de même parler de notre politesse, notre savoir-vivre, la difficulté d’exprimer nos sentiments, notre manque de franchise... Nathalie Sarraute nous invite à crever cette muraille épaisse du conditionnement, de la bienséance, de la timidité pour voyager au pays de nos inhibitions plus ou moins justifiées. Ce sera notre terrain de jeu. Mais ne nous y trompons pas, il n’est pas question dans ce texte de phrases cruciales ou de mots porteurs de sens complexes. Au contraire, ce sont des mots de tous les jours : ces frustrations, ces petites maladresses, fausses notes de la partition de la vie quotidienne.

Les décors ?

La pièce se passe dans une tête. Excluons d’emblée une reproduction plus ou moins douteuse de l’intérieur d’un cerveau et offrons nous une grande liberté quant au choix du décor. Celui-ci devra être surréaliste et étrange pour indiquer au spectateur que l’on ne se trouve pas dans le monde des humains mais dans notre paysage mental. De plus il devra donner la possibilité aux protagonistes de s’y ébattre et d’y jouer comme des enfants afin de montrer leurs côtés facétieux et loufoques. Ainsi l’idée d’utiliser des chambres à air de grande dimension, gonflées et fixées entre elles m’a paru à retenir. Si leurs formes rondes et leur texture moelleuse peuvent évoquer les circonvolutions du cortex cérébral, elles offrent surtout une structure extrêmement ludique permettant aux comédiens de se cacher, d’y rebondir, de s’affaler…

Les lumières

Tout devra être mis en œuvre pour suggérer l’enfermement et l’étrangeté de la situation : l’éclairage ne parviendra donc pas ou très peu des hauteurs mais viendra principalement du sol. Etant donné le thème, nous pouvons nous permettre des couleurs assez vives. Nous aurons ainsi un lieu coupé du monde, plein de mystère et de magie.

La musique

Rolland Ossart a choisi de distiller une musique à partir d’enregistrements d’écoulements, de clapotis d’eau. Il est en effet judicieux de s’intéresser aux bruits du corps tels que l’on peut les percevoir de l’intérieur. L’ambiance intra-utérine ainsi obtenue est à souligner et lorsqu’elle accompagne des personnages qui veulent « sortir », la métaphore d’un accouchement est assez évidente. S’il s’agit de mots que l’on met au monde alors c’est de création que l’on parle. Création de notre personnage social avec ses doutes, ses douleurs et ses joies.

Stéphane PINCHON

Notes d'une comédienne

Donner vie à des mots au sens propre de l’expression. Voilà ce qu’il nous est demandé d’interpréter.

Faire que des mots, ces sons doués d’intelligence, soient aussi dotés de sentiments, de passions, de violence, d’humanité en somme. Etre un « Au revoir » désespéré parce que, lui pourtant toujours si ponctuel et policé, est sorti cette fois-là un peu trop tôt, trop abruptement, ou un maladroit « Je t’aime » qui se fait éconduire ou bien encore de petits mots polissons et capricieux, toujours prêts à sortir dans la conversation pour le simple plaisir de faire s’emballer la belle machine huilée du langage courant. Faire voler en éclats ses formules bien établies.

C’est une jubilation que d’ « incarner » ces mots, d’exprimer leurs préoccupations, leurs angoisses existentielles, leurs conflits parfois farouches. Parce qu’ils nous ressemblent, parfois irascibles, parfois entêtés, souvent désarmés et fragiles. Et les petits drames qu’ils vivent et commentent nous ouvrent les yeux sur ceux que nous produisons nous-mêmes chaque jour, souvent sans le savoir, juste en prononçant « le mot de trop ».

Marie-Anne ZAGARRI

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